L'histoire des Belles de Savon

Publié le : 05/02/2018 14:37:44
Catégories : Les Belles de Savon

Vous croisez ici une Belle Elégante, Séraphine, qui prend le frais après les soins, à l’ombre d’un grand cèdre en sirotant un thé Earl Grey agrémenté de citron. Elle somnole, bercée par les notes douces et sucrées du rhododendron sur une chaise longue de rotin.

Mais voici que le cri de Marcel l’Ouvrier, encore couvert de charbon au sortir de la mine la réveille en sursaut, il hèle de sa voix goguenarde, Lucien, le Jardinier qui pousse sa brouette chargée de fleurs et de légumes. Tout deux ont les mains calleuses des hommes qui travaillent au dehors et façonnent âprement la terre pour en extraire les fruits. La vie est tour à tour douce et rude et marque les visages de sillons irréparables. Un rayon de soleil se glisse dans leurs cheveux emmêlés et accompagne leurs profils taillés au couteau. L’odeur du romarin et de la menthe fraîche, mêlée à celle de la terre et de la poussière, arrive aux narines d’Ambroise, l’Homme de Lettres, qui termine de dicter sa correspondance à son secrétaire. 

Par la fenêtre entrouverte du bureau, on devine les rayonnages de livres reliés de cuir, les fauteuils accueillants dans la pénombre du salon et le parfum raffiné du propriétaire des lieux dont la chemise amidonnée dégage une chaleureuse odeur de vétiver et de bois de Hô.

La lettre sera portée de suite et remise en mains propres à Théophile, l’apothicaire. Les estivants commencent à arriver et la vallée s’active pour de bon.

Les prescriptions doivent être à jour dans les officines et les commandes bien anticipées pour achalander les échoppes. Tout le monde s’affaire et l’apothicaire déplace les fioles d’où s’échappent des vapeurs de menthol et de camphre. Il replace les flacons sur les étagères et arrange sur le comptoir les boites de pastilles à la sève de pin destinées à adoucir les gorges irritées de ses clients, peu habitués à goûter la fraîcheur et l’humidité des soirées en bord de Sioule.

Il faudra qu’il rappelle à Eugénie, La Donneuse d’Eau des Grands Bains que les prescriptions doivent être respectées à la lettre afin d’éviter les troubles digestifs qui gâchent invariablement les soins des curistes trop zélés. Il appelle son commis afin de lui faire porter les verres nécessaires à la cure que les visiteurs recevront dès leur arrivée dans de petites sacoches d’osier. Il ne peut s’empêcher de penser à la douceur d’Eugénie, toujours avenante auprès des curistes parfois désemparés.

Elle reprend avec constance les ordonnances, fait patienter les grincheux et sa fraîcheur en chemin en séduit plus d’un. Mais trêve de rêverie, le devoir l’appelle, il faut qu’il pense à faire venir la Blanche, de nombreuses plantes médicinales manquent encore pour les macérats et les potions et cette guérisseuse un peu sauvage sait comme personne dénicher les champs et les fossés où poussent aigremoine et coquelicots. Elle traîne d’ailleurs dans son sillage les senteurs vertes des orties et des serpolets foulés aux pieds lors de ses cueillettes, ce qui lui vaut des bas de jupons toujours souillés de chlorophylle .

Voilà maintenant la femme du médecin thermal accompagnée de sa nurse et de son fils Alphonse, un Angelot joufflu mais pâle dont la constitution s’améliore chaque jour au grand air des Combrailles . Vêtu de dentelles blanches, fleurant bon le propre et la lessive, le chérubin au visage doux gazouille dans les bras de sa nourrice pendant que Madame s’attarde entre les rayons, à la recherche de produits spéciaux et de son eau de toilette parisienne.

Et quand la porte de l’officine s’ouvre à la volée, c’est pour laisser place à une créature exotique et haute en couleurs qui fait plisser le nez de Madame la Docteur. Zélie, L’Orientale, brune et fière, est précédée dans la pièce de son parfum enivrant et épicé aux accents de patchouli et de bergamote.

La boutique s’emplit de ces senteurs lointaines d’agrumes et de comptoirs coloniaux qui contrastent avec la blondeur pâle de Louison la Bergère, venue proposer sa récolte de camomille sauvage au pharmacien. Sur sa hanche, accroché à son sein gonflé, un Chérubin rose et vigoureux, tète nonchalamment, absorbé par la contemplation des affiches publicitaires colorées vantant les mérites des eaux de la Vallée.

Après quelques achats aux accents chantants, la porte se referme sur la belle étrangère et son sillon poivré. Légère, elle abandonne les occupants de la pharmacie à la pénombre et à leurs réflexions sur ces territoires vastes et vierges qui s’étendent au large des frontières nationales, bien au-delà de leur vallée abritée et des contreforts du Massif Central loin, bien loin du fourmillement du monde qui s’éveille à la modernité en ce début de siècle.

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